- Noun, tu ne peux pas partir de la maison comme ça ! glapit ma mère, blanche comme le dessus de lit sur lequel elle était assise.
- Maman, arrête de m'appeler comme ça, dis-je d'une voix glaciale, sans dénier me retourner pour lui faire face. Je m'appelle Younn, non d'une chouette.
- Tu ne peux pas aller vivre avec ton frère, tu es trop jeune !

J'avais entendu cela des milliers de fois, depuis que je leur avais annoncé que je rejoignais mon frère aîné à Salem, quittant ainsi ma Suède natale. Je n'en pouvais plus de cette vie. J'avais besoin de respirer, de devenir quelqu'un. J'aimais Stockholm plus que tout au monde, mais ma famille ne me donnait aucune envie de rester.
En jetant un pull dans la malle, ma mère posa sa main sur mon bras et leva des yeux suppliants vers moi. Voyant le regard méprisant que je posai sur elle, elle retira aussitôt sa main et baissa la tête. Elle savait parfaitement qu'elle ne parviendrait pas à me convaincre de rester. Même en appelant la cavalerie à la rescousse, rien n'y ferait. La sonnerie de la porte d'entrée la tira de sa supplique. Elle descendit en trombe pour ouvrir.

- Chick, je t'en prie, ne l'emmène pas avec toi, l'entendis-je murmurer.
- Maman, je m'appelle Fredrik, non d'un troll ! s'énerva mon frère. Cesse de m'appeler par tous les noms de piafs !

Il monta à l'étage et me rejoignit dans ma chambre. Après un check de mec, il sortit sa baguette et d'un simple mouvement du poignet, envoya tous mes vêtements dans ma malle, sans aucun effort. Pourquoi n'y avais-je pas pensé ? Lorsque tout fut prêt, il me lança un clin d'oeil et redescendit m'attendre dans le hall d'entrée. Les gémissements de ma mère reprirent de plus belle et Amarylis débarqua, sortant de sa chambre les yeux larmoyants. A vingt ans, elle ne voulait en aucun cas quitter sa maison ni ses parents. Autant dire que moi, même avec mes quatre ans de plus, j'avais du mal à le faire accepter par mes parents et surtout ma mère. Mon père avait fini par comprendre que lorsque j'étais décidé, rien ne pouvait me détourner de mon idée.

- Noun, tu vas me manquer, dit ma mère en me tendant mon écharpe de laine.
- Je m'appelle Younn et dois-je te rappeler que nous sommes en été ? Il fait 25°C dehors, dis-je d'une voix glaciale.

Elle sourit de sa stupidité et me tendit mon écharpe plus légère, ramenée du Maroc. En l'enroulant autour de mon cou, je lançai un regard à ma soeur cadette qui pleurait, appuyée contre la rambarde de l'escalier.

- T'inquiètes la geek, ton chéri te consolera, lançai-je sous l'air courroucé de ma mère.

Amarylis remonta dans sa chambre en pleurant de plus belle, tandis que ma mère tentait de m'arracher un baiser. Je suivis Fredrik jusqu'à sa voiture, qu'il démarra aussitôt. Nous partîmes rapidement, sans lancer un regard à notre mère. Une nouvelle vie commençait.

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Mais comment voulez-vous comprendre cela si je ne vous explique pas d'où je viens ? Nous ne semblons pas très unis et à vrai dire, nous ne l'avons jamais été. Ma famille se résume à mon grand frère, Fredrik. Mon héros & mon idole. Bien plus que mon bon à rien de père, qui n'a su que faire un enfant dans le dos de ma mère. Mais je vais vite en besogne. Recommençons depuis le début, que vous compreniez un peu mieux qui je suis et d'où je viens.

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Moi, Younn Olrik Stevensson, suis né dans la magnifique ville de Stockholm, le 14 octobre 1988. Mon père, un américain du nom de Steve McMillan, rencontra ma mère lors de vacances en Suède. Elle, suédoise du nom de Julia Stevensson, tomba aussitôt amoureuse de lui, sans se poser de questions. Ils se sont aussitôt mariés, mon père louchant sur la fortune de ma mère, héritière d'une célèbre marque de bijoux. Fredrik Johanness est né un an après, alors que mes parents vivaient dans une grande maison achetée sur les berges du Göta älv à Göteborg, non loin de l'embouchure du Cattégat. Alors que Fredrik avait deux ans, mes parents ont déménagé et sont partis s'installer à la capitale, mon père ayant repris la tête de l'entreprise de son beau-père, décédé dans des circonstances étranges. Et peu après, je suis né. Et puis un jour, il y a eu ce sommet des grands patrons, sur l'importance croissante d'internet. Et mon père n'est pas rentré, ce soir-là. Ma mère, occupée entre un nouveau-né et un petit garçon de trois ans, n'a pas bronché. Et le lendemain, mon père est rentré, sans donner aucun explication. Et puis sa présence commença à se faire rare, au fil des mois puis des années. En grandissant, Fredrik a fini par comprendre qu'il y avait peut être une autre famille, ailleurs. D'autres enfants, une autre femme, qu'il aimait plus qu'eux. Et cela, il ne l'a jamais pardonné à notre père. Ma mère, de son côté, a refusé de céder. Elle nous a élevés, tous les deux, sans se soucier des allers retours de son mari. Mais au fond d'elle même, elle savait, qu'il y en avait une autre. On ne disparaît pas quatre jours par semaine pour aller faire du golf ou du bateau avec ses collègues ! Et sans que nous le sachions, un jour comme les autres dans notre vie de famille plus que bancale, il est allé à la maternité. Oh, pas celle où ma mère travaillait comme infirmière ! Mais dans une autre. Et ma mère n'a jamais su qu'il rendait visite à sa maîtresse et sa fille, qui venait de naître. Ni elle, ni Fredrik, ni moi, n'avons jamais su que nous avions une demie-soeur prénommée Vera.

Et puis ma mère finit par en avoir assez. Elle faillit quitter la maison, emportant avec elle ses deux fils. Pour lui prouver son amour - ou du moins son semblant d'amour - mon père lui fit un troisième enfant, une petite fille nommée Mona. Le temps arriva, où mon père s'absentait quatre soirs par semaine, allant dans un endroit que nul à la maison ne connaissait. Il dépensait des sommes folles pour des cadeaux dont ma mère ne voyait jamais la couleur. Mais lorsque Mona eut quatre ans, mon père ne s'absenta plus. Il fut présent tous les jours, pour voir grandir ses enfants, pour entourer ma mère de tout son amour. Il n'a plus manqué aucun anniversaire, ni aucune fête à l'école. Pourquoi ce revirement de situation ? Nul ne le sait, à part lui. Tout simplement parce que sa maîtresse, la mère de Vera, lui avait demandé de choisir entre sa famille et elle. Et que mon père nous a choisis. Mais cela, nous l'ignorons. Jusqu'au jour où Mona, véritable geek, finira par rencontrer Vera sur une plateforme de jeux en ligne, les deux jeunes filles devenant très amies et finissant par parler de leurs familles respectives.

Le pire dans tout ça, c'est que je connais Vera Ydelsen. C'est une moins que rien, une Zeta-Lambda. Une looser, que j'aime à martyriser chaque jour qui passe. Mais j'ignore que le sang qui coule dans nos veines est à 50% le même et que nous avons un père en commun. Je la méprise, elle me hait. Comment les retrouvailles se passeront-elles, lorsque la vérité éclatera ?

J'ajouterai également que, en plus de mon frère et de ma petite soeur que, malgré les apparences, j'aime beaucoup, il y a dans ma vie une troisième personne digne de mon respect et même, chose rarissime, de mon admiration. Claire Birley. La femme de ma vie, celle pour qui je détruirai le monde, ou bien m'envolerai pour décrocher la Lune. En apparence, je ne suis pas romantique, plutôt brut de décoffrage, mais Claire sait que je suis un jeune homme romantique, seulement avec elle. Je tiens à elle comme à la prunelle de mes yeux. Qu'adviendra-t-il de notre couple, lorsque j'apprendrai qu'elle est enceinte ?

La personnalité est la garde-robe du moi.

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- Okay, je prends 50 € de l'interview, alors dépêchez-vous, j'ai pas que ça à faire. Voix légèrement énervée, bien que d'un sang froid admirable. Le journaliste ignore qu'à ce moment, Younn songe à lui arracher la tête.
- Très bien, monsieur Stevensson. Quel mot utiliseriez-vous pour décrire votre personnalité ? Voix sérieuse, avec un brin de peur. Le journaliste mesure 1m60, Younn en fait 1,90.
- Salaud. Younn n'a pas hésité une seconde, pour choisir le mot adéquate. Il n'a pas besoin de réfléchir, il se connaît pas coeur et est fier de ce qu'il est.
- Original. Le journaliste pense plutôt que ce mec à l'air décontracté, aux baskets colorées et au foulard marocain est un illuminé, doublé d'un narcissique. La pièce est bardée de miroirs, dont le reflet attire sans arrêt les yeux de Younn. Pourriez-vous être plus explicite ?
- Pas original, face de troll. Véridique. Je suis un salaud, ce dont tu viens de faire l'expérience. Younn s'amuse. Un sourire machiavélique se dessine sur sa bouche finement ourlée. Ce journaliste, il ne va en faire qu'une bouchée. Je suis franc et je dis ce que je pense, sans détours aucun. J'aime bien critiquer les gens, pour la simple et bonne raison qu'il n'y a rien à critiquer chez moi. Passe sa main dans ses cheveux bruns et lance un sourire colgate à son reflet.
- La franchise a des mauvais côté, monsieur Stevensson. Le journaliste tente une approche plutôt douce, pour faire comprendre à ce mec qu'il est vraiment con.
- Oué, mais je joue seulement avec ses bons côtés. Si vous étiez une femme, vous seriez déjà en sous-vêtements à danser sur cette table. Younn est beau, charmeur et adore jouer avec les femmes. Elles ne sont que d'agréables distractions. Oui, Younn est machiste, mais il aime ça. Pourtant, ce que le journaliste ignore, c'est que Younn est fou amoureux de sa petite amie.
- Vous avez bien des qualités, Younn ? Le journaliste se demande s'il n'est pas tombé sur le fils du Diable en personne. Peut-on être si mauvais ?
- Sûr, que j'en ai ! Je suis beau comme un dieu. C'est pas suffisant pour vos yeux de limace ? Vous portez des lunettes de soleil, c'est que mon charme doit bien vous éblouir. Le journaliste ne répond pas, mais pense très fort qu'ils sont sur une terrasse, sur le toit d'un immeuble de New-York, qu'il est midi et que donc, le soleil tape très fort. Je suis hyper protecteur. Toucher à mes potes, c'est pas la peine. Sauf si on veut expérimenter l'enterrement vivant dans un cimetière sordide, une nuit d'Halloween.
- Merci, je m'en passe. Là, le journaliste n'a qu'une envie, celle de quitter cet endroit et de ne plus jamais revoir ce fou. Le problème, c'est que Younn Stevensson est très beau et qu'il a un charme fou et que le journaliste est, pas de chance, homosexuel.
- Ne partez pas, je ne vous ai pas quel était mon passe temps favori ! J'aime surveiller les gens, deviner leurs plus profondes pensées et les retourner contre eux. J'utilise leur personnalité pour les traîner dans la boue. Bien sûr, je ne le fais qu'avec ceux qui le méritent. Mais sachez que j'ai de l'estime pour peu de sorciers. Et que du mépris pour les Sans Pouvoirs. Le journaliste se lève. Il a bien compris que pendant tout ce temps, Younn n'a fait que l'analyser et s'il reste une minute de plus, ce jeune homme saura tout de sa vie, rien qu'à travers ses yeux.
- Merci pour ces quelques minutes, monsieur Stevensson. Il se précipite vers la sortie. La voix follement sexy de Younn l'apostrophe.
- Au fait, je ne vous ai pas dis le plus drôle. J'ai un don que peut de gens partagent. Je suis télépathe. Alors passez-donc le bonjour à votre charmante fiancée et transmettez tous mes voeux de bonheur à cette femme que vous venez d'engrosser, après une soirée bien arrosée. Le journaliste s'enfuit en courant, réfléchissant aux différents endroits où lui et sa fiancée pourraient aller vivre, le plus loin possible de New York et de ce détraqué. La Terre Adélie ?

En dehors de cet interview, j'ajouterai que Younn est totalement dans la démesure. S'il veut s'amuser, il va boire comme un trou et fumer comme un pompier, et pas que du tabac. En fait, il fume beaucoup et c'est le seul moyen qu'il a trouvé pour grandir plus vite. Parce que Younn veut être grand. Lui, c'est plutôt l'inverse du syndrome de Peter Pan. Il ne veut pas être un enfant ! La majorité, l'âge adulte, celui où on peut faire tout ce qu'on veut, c'est tellement magique.
Sinon, en plus d'être accro à la nicotine, il est accro à sa guitare. Une splendide Gibson J200 cadeau de son oncle, pour ses dix-sept ans. Il la trimbale partout avec lui, dans son étui noir. Il lui a même donné un nom de femme, parce qu'elle est la seule en qui il a confiance, avec Claire, son amour. Sa guitare s'appelle Sandra.

Il faut vivre pour écrire, et non pas écrire pour vivre.

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Younn lança un regard à sa montre, manquant faire tomber le bouquet de rose qu'il tenait dans sa main gauche. Tapotant du pied contre le bitume du trottoir, le jeune homme regarda autour de lui, cherchant à percer les ténèbres de la nuit de ses beaux yeux bruns. C'est alors qu'il la vit, resplendissante. Elle portait une robe d'un blanc crème, associée à de mignons petits talons colorés. Mais même avec des talons, Claire restait plus petite que lui. Avalant sa salive, Younn s'avança vers elle et lui tendit le bouquet de roses, avant de déposer un langoureux baiser sur ses lèvres. La dévorant du regard, il lui présenta son bras et tous deux allèrent jusqu'à l'entrée du restaurant, dont un portier poussa le battant, des effluves de mets fins et délicieux leur parvenant à travers l'ouverture. Ils avancèrent et un homme bedonnant, au sourire franc, leur souhaita joyeusement la bienvenue. Younn donna son nom et on les accompagna jusqu'à la table qu'il avait réservée, pour fêter l'anniversaire de sa compagne et les un an de leur couple, qui tombait, heureux hasard, exactement le même jour. Un an. Douze mois, trois-cent-soixante-cinq jours qu'il partageait la vie de Claire Arianne Birley. Et il ne se passait pas un jour sans qu'il se félicite d'avoir fait le premier pas vers cette jeune femme timide au sourire ravageur. Il se souvenait encore l'avoir emmenée au cinéma pour son anniversaire et là, dans la salle sombre où résonnaient les rires des spectateurs devant les frasques de Jack Sparrow, il avait tourné son visage vers le sien et avait scellé le début de leur magnifique histoire d'amour d'un baiser.
Un serveur s'approcha, leur tendant les cartes du menu. Il sembla attiré par le magnifique décolleté de Claire, mais un regard à Younn lui fit rapidement comprendre qu'il risquait la peine de mort à faire un pas de plus. Younn avait beau être un salaud avec beaucoup de gens, il était très protecteur envers sa compagne. Peut-être était-ce pour cela qu'elle l'aimait ? Il savait parfaitement que ce n'était pas pour ses multiples défauts.
Ils passèrent commande et, étonnamment, ce fut un autre serveur, qui vint leur présenter la bouteille de champagne français qu'ils souhaitaient boire. Du champagne français et du foie gras en entrée, un hommage rendu aux origines françaises de la femme qu'il aimait. Il plongea la main dans la poche de sa veste de costard, en sortant un long et fin écrin de velours noir, contenant un bracelet de perles. Il le tendit à Claire.

- Joyeux anniversaire, mon amour.